Pour déterminer le contenu énergétique de l’Univers et mesurer son histoire cosmique, une méthode observationnelle est d’utiliser les Oscillations Acoustiques Baryoniques (BAO) comme échelle standard dans la distribution spatiale des galaxies. En effet, les ondes de pression qui se sont propagées dans le plasma photon-baryon à l’époque de l’Univers primordial juste avant la recombinaison (environ 380 000 ans après le Big Bang) ont laissé une empreinte dans le rayonnement, correspondant aux anisotropies observées dans le Fond Diffus Cosmologique (CMB), et une empreinte dans la matière, correspondant à une distance privilégiée entre deux galaxies d’environ 105 h-1.Mpc. La mesure de cette distance caractéristique à différents redshifts permet de contraindre l’histoire de l’évolution de l’Univers et donc les propriétés de l’énergie noire. Anticipé dès les années 1970 comme un effet du CMB, les premières détections du pic BAO se firent en 2005 avec le sondage Sloan Digital Sky Survey (SDSS) (Eisenstein et al. 2005).
L’un des défis du BAO est la faible amplitude du signal, nécessitant le relevé d’énormes volumes cosmiques afin d’obtenir une mesure de distance précise. Le sondage BOSS, pour Baryon Oscillation Spectroscopic Survey (Dawson et al. 2013), de SDSS-III (2009-2014) a fait partie de cette nouvelle génération de relevés spectroscopiques de galaxies, en se proposant de cartographier la distribution tridimensionnelle de 1.5 millions de galaxies rouges lumineuses (LRG) situées entre 0.2 < z < 0.8 sur un champ de vue de 10 000 deg2. Parallèlement, BOSS a permis de sonder le milieu intergalactique (IGM) à travers la ligne de visée de 160 000 quasars situés entre 2.3 < z < 2.8 grâce à la forêt Lyman-alpha (Ly-alpha). Récemment, les détections du pic BAO ont été reportées à bas redshift (z ∼ 0.3) (relevés 6dFGRS et SDSS-II), à redshift intermédiaire vers z ∼ 0.6 (relevés WiggleZ Dark Energy Survey et SDSS-III/BOSS) et à très haut redshift vers z = 2.5 dans la forêt Ly- (relevé BOSS). Aujourd’hui la détection du pic BAO avec BOSS est significative à 7 sigma, avec une précision sur les distances cosmiques de l’ordre du pourcent. D’autre part, la distribution des galaxies mesurées dans l’espace observable contient également l’empreinte du taux de croissance des structures sous la forme d’une anisotropie mesurable. Cette distorsion dans l’espace des redshifts (RSD) peut être utilisée pour mesurer une éventuelle déviation de la relativité générale à grande échelle.
Le projet eBOSS, pour extended-BOSS (Dawson et al. 2016), a succédé à BOSS en 2014. Le but de eBOSS, prévu pour 6 ans jusqu’en 2019, est de couvrir tout le domaine en redshift intermédiaire, c’est-à-dire 0.6 < z < 3.5. Ceci inclut l’observation des LRG situées entre 0.6 < z < 0.8, mais aussi celle des galaxies à raies d’émission (ELG) jusqu’à des redshifts de z < 1.3, des quasars pour la région 1.2 < z < 2.2, et enfin de quasars Ly-alpha de 2.2 < z < 3.5. Il s’agit du premier sondage de galaxies qui couvrira la période de transition de domination de l’énergie noire sur la matière avec cette précision. L’objectif est d’observer environ 3 millions d’objets sur une surface d’environ 3 500 deg2.
Les collaborations BOSS et eBOSS sont composées de 150 scientifiques, principalement américains, avec une participation française regroupant l’IN2P3, l’INSU et le CEA. Le CPPM a rejoint BOSS en 2010, et fait partie de eBOSS depuis 2014.
BOSS exploite le télescope large champ de vue de 2.5 mètres de diamètre de la fondation Sloan, situé à l’Observatoire Apache Point au Nouveau Mexique (Etats-Unis).
Le groupe s’est impliqué dès 2010 sur l’étude des galaxies à raies d’émission (ELG) dans le but d’anticiper les futurs sondages de galaxies lointaines qui doivent couvrir la gamme de redshifts z>0.8, quasiment inexplorée.
Dans le cadre de BOSS, les galaxies utilisées sont les galaxies rouges lumineuses (LRG) qui représentent une population très homogène de galaxies âgées, typiquement situées à des redshifts z<0.8. Afin de sonder plus profondément l’Univers, une possibilité́ est d’utiliser les galaxies bleues situées au-delà̀ de z=0.8. Ces galaxies jeunes, qui ont un taux de formation d’étoiles élevé́, présentent dans leur spectre de fortes raies d’émission, dont le doublet [OII], ce qui rend propice la mesure de leur redshift. Le travail de notre groupe, en collaboration avec le Laboratoire d’Astrophysique de Marseille (LAM), a concerné la validation de la sélection couleur basée sur les bandes photométriques u,g,r,i en étudiant les taux de succès de mesure de ces objets à grand redshift.
Spectre simulé d’une galaxie ELG située à un redshift de z=0.5, sur lequel on applique une reconstruction afin d’en déduire le redshift mesuré.
Finalement ces études étaient précurseurs dans la collaboration BOSS, et ont permis d’asseoir la proposition du programme eBOSS. Le projet eBOSS a été accepté par l’After-Sloan 3 en novembre 2011, et a démarré en juillet 2014. Nous avons également participé au programme pilote SEQUELS pour eBOSS.
Dans le but d’améliorer notre compréhension de la nature de l’énergie noire, nous avons aussi participé à l’application d’un nouveau test cosmologique très prometteur, le test d’Alcock-Paczynski (AP) (Alcock et al. 1979). Le principe du test AP est de considérer un système sphérique parfait dans l’espace réel, en s’appuyant sur l’hypothèse de l’uniformité et de l’isotropie de l’Univers à grande échelle. Lorsque ces objets sont observés dans l’espace des redshifts, la mesure de leur taille apparente dépend de la cosmologie fiducielle. Ainsi tout écart par rapport à 1 du rapport de la taille radiale sur la taille transverse de l’objet permet de contraindre les paramètres cosmologiques.
Le test d’Alcock-Paczynski permet de contraindre la cosmologie de l’Univers par la mesure de la déformation dans l’espace observable d’un objet sphérique ou symétrique dans l’espace réel.
Nous avons reçu le soutien de l’ANR par le projet Jeunes Chercheurs OMEGA (2011-2015), dont la motivation était d’étudier l’application du test AP sur un ensemble symétrique composé de paires de galaxies, supposées sans orientation préférentielle « en moyenne » dans un Univers homogène et isotrope. Nous avons ainsi appliqué le test AP aux paires de galaxies proches du sondage BOSS (Gonzalez-Perez et al. 2013), ce qui revient à étudier l’anisotropie moyenne des paires de galaxies (test AAP de (Marinoni et al. 2010)). Nous étudions aussi comment appliquer le test AP aux vides cosmiques.
En effet, l’énorme quantité de données aujourd’hui disponibles par les grands sondages de galaxies, tels que BOSS et eBOSS de SDSS auxquels le groupe participe, a ressuscité l’intérêt des vides pour la cosmologie tout dernièrement. En particulier les vides cosmiques, qui remplissent la majeure partie de l’Univers, contiennent très peu de matière, et pourraient être composés principalement d’énergie noire. Ces régions se présentent donc comme un laboratoire idéal pour tester les scénarios d’énergie noire et contraindre l’expansion cosmique. L’idée est donc d’appliquer le test AP sur les vides cosmiques, en utilisant les travaux récents de (Lavaux et al. 2012) qui introduirent l’idée d’extraire les informations cosmologiques à partir des vides cosmiques empilés. L’empilement des vides permet de moyenner leur forme et d’adoucir les contours, et de réaliser des tests statistiques en moyenne, exactement comme dans le test des paires de galaxies. Et comme dans un Univers homogène et isotrope il n’y a aucune raison que les vides, en moyenne, aient une direction privilégiée, les vides sont bien, en moyenne, sphériques, et semblent être bien adaptés au test d’Alcock-Paczynski.
Contraintes dans le plan (w0,wa) indiquant l’amélioration sur la DE par l'ajout des vides (Pisani 2015).
Une façon de contraindre de possibles déviations entre les observations et les prédictions de la Relativité Générale est aussi de combiner différentes sondes cosmologiques. Dans le but d’être au plus près des analyses qui permettent de contraindre les modèles de gravité modifiée comme interprétation de l’accélération cosmique de l’Univers, nous avons entamé une collaboration avec le LAM pour mener des études de combinaison clustering-lensing. Cette analyse de combinaison de sondes est appliquée sur une région du ciel relevée à la fois par le sondage BOSS (relevé spectroscopique pour les études de clustering) et par le programme CFHTLenS (relevé photométrique pour les études de cisaillement gravitationnel).
Dans le cadre de ce travail, nous avons étudié au CPPM une nouvelle approche pour l’estimation de la matrice de covariance. En effet, une étape cruciale dans les mesures de clustering des galaxies est d’obtenir une estimation non biaisée de la matrice de covariance, ce qui se fait par des catalogues simulés, représentatifs des données et sensibles à la modélisation interne. Pour atteindre la précision demandée, des milliers de réalisations sont nécessaires, ce qui devient prohibitif en CPU. Au CPPM nous avons proposé une alternative de realisation, basée sur une méthode ‘jackknife’. L’idée est de générer un grand nombre de pseudo-réalisations à partir d’une seule réalisation de catalogue simulé, et d’en déduire une estimation de la matrice de covariance. Comme cette variance demeure dépendante de la simulation initiale, ce qui est en outre désirable, on réitère l’opération pour d’autres réalisations initiales (toutes indépendantes), puis on moyenne les matrices de covariance. On peut montrer que le nombre de tirages initiaux peut ainsi être réduit d’un facteur sept avec le ré-échantillonnage ‘jackknife’, en obtenant une même estimation de la covariance pour une même précision attendue.